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LA VILLE POREUSE

 

Au cours de leurs recherches théoriques et pratiques, Bernado Secchi et Paola Viganò s’interrogent essentiellement sur la transformation des villes européennes en un meilleur milieu pour les habitants. Leur réflexion s'appuie sur une rationalité écologique où il est nécessaire de réfléchir sur la transformation des villes, notamment par la récupération des cicatrices industrielles et par la mise en place de nouveaux espaces verts pour la ville. Pour le duo d’architectes urbanistes, la question environnementale est primordiale, car la ville est l’un des enjeux essentiels de la lutte contre les changements climatiques. Leur réflexion s’inscrit dans le mouvement du landscape urbanism. Celui-ci est un mouvement urbanistique qui porte sur l’inclusion de principes écologiques dans la ville, en réponse aux enjeux environnementaux. Cette réflexion aborde le paysage naturel dans la ville pour la compréhension et la planification de celle-ci. Il s’agit d’une théorie écologique dans laquelle les espaces verts et les espaces ouverts doivent être réintroduits dans les villes existantes, pour tous les bienfaits environnementaux et sociaux que ces espaces offrent aux urbains.

 

C’est l’approche du landscape urbanism que Secchi et Viganò prennent et réfléchissent à la conception de villes écologiques. Selon eux, le paysage joue un rôle important dans la rationalité écologique des villes, tout particulièrement pour l’espace sous-développé d’un tissu urbain fragmenté. En plus de l’écologie, le landscape urbanism est aussi pour eux l’occasion d’intégrer «une vision plus large qui associe toutes les autres dimensions de l’urbanisme […] : l’économie, le logement, les équipements, les transports, etc» (Masboungi, d’après un entretien avec Viganò 2013). De ce mouvement écologique, deux principaux enjeux sont retenus par Secchi et Viganò pour la construction de la ville contemporaine. La première est la relation du projet d’urbanisme paysagé avec les zones en déclin, notamment les espaces industriels et d’infrastructures des shrinking cities. La deuxième est le rôle de l’espace ouvert apporté par la création de nouveaux espaces verts. Ces enjeux amènent une réflexion sur la place du vide dans la ville : le vide que l’on doit remplir (les zones en déclin) et le vide que l’on doit laisser (l’espace ouvert). Ainsi, le vide fait parti de la ville et, comme un matériau, doit composer l’urbanisme. Comme le disent Secchi et Viganò, «Planning the void means designing what lies between things, what usually remains in the background and does nots emerge, the remnant» (Secchi et Viganò, Lotus International #50, 2012).

 

Secchi et Viganò travaillent donc avec ces espaces libres de la ville pour y traiter les différentes questions d’écologies, sociales et économiques dans un ensemble cohérent. Il s’agit du concept de la porosité de la ville, que le duo appelle la «Ville Poreuse» (Porous City). Le mot porosité se définit traditionnellement par: l’ensemble des vides dans un matériau solide (Larousse, 2014), mais on pourrait le traduire pour le domaine de l’urbanisme par : l’ensemble des espaces libres dans la ville. Pour Secchi et Viganò, «le terme porosité définit un rapport : dans un corps, la relation entre le vide (pores) et le plein. Lire et dessiner la porosité signifient dédier attention aux matériaux urbains et à leur disponibilité au changement et aux fractures spatiales et sociales» (Viganò, 2013). La ville poreuse est ici une ville existante : Secchi et Viganò ne proposent pas le projet d’une nouvelle ville, mais bien de travailler avec celle existante. Cette porosité (espaces libres) de la ville doit tenir compte des facteurs écologiques, de transport et de liens sociaux-culturels.

 

«Un projet de ville poreuse dit d’une manière concrète ce que l’on entend par ville poreuse : une ville dense de lieux significatifs, qui donne de l’espace à l’eau et aux échanges biotiques, où la biodiversité se diffuse par percolation et les parcs ne séparent pas, qui se transforme par stratification et qui accueille les différentes idiorythmies. En d’autres termes, on a avancé l’hypothèse que les principaux problèmes auxquels toutes les métropoles du 21e siècle devront se confronter seront ceux de l’inégalité sociale, de l’énergie, de la gestion des eaux, de l’utilisation des zones résiduelles que chaque génération a laissé en héritage, et enfin, d’un nouveau système de mobilité qui puisse désenclaver le territoire» (Secchi et Viganò, 2011).

 

 

LES CINQ STRATÉGIES DE LA VILLE POREUSE

 

 

Secchi et Viganò explorent la ville poreuse selon cinq stratégies. Ces stratégies ont été développées dans l’analyse et l’étude du Grand Paris de l’après-Kyoto. Elles seront ici brièvement présentées afin de mieux analyser le projet du plan directeur d’Anvers et du parc Spoor Noord.

 

 

Pour entendre Secchi et Viganò parler de la ville poreuse, visionnez ce vidéo très intéressant!

La première stratégie selon Secchi et Viganò est que la ville poreuse doit être composée d’une multitude de lieux significatifs. Ces lieux significatifs sont ceux qui participent à la mémoire collective des habitants, qui définissent le patrimoine, l’histoire et la culture d’une ville. Bien que Secchi et Viganò définissent ces lieux comme des monuments, il s’agit d’espaces au-delà des bâtiments historiques reconnus. Pour reconnaitre ces monuments, il s’agit avant tout de reconnaître le rôle de ces espaces, plutôt que leur image. Ces monuments peuvent être des bâtiments, des quartiers, des parcs, des terrains de sports, des lieux de loisirs ou des pistes cyclables. Il s’agit donc de lieux qui ont une signification sociale et multiculturelle plutôt qu’une signification esthétique. Cette technique permet «d’explorer ce qui, de manière moins évidente, peut constituer un monument pour tel ou tel groupe ou en tant cas un lieu d’appropriation ou de référence» (Secchi et Viganò, 2011). À Paris, par exemple, Secchi et Viganò identifient les grandes usines automobiles comme monuments de la ville puisqu’elles représentent l’époque industrielle de la métropole. Aussi, des quartiers entiers peuvent être des monuments et ainsi être valorisés dans leur signification culturelle. C’est le cas des banlieues de Paris, véritable «mosaïque de cultures et de paysages» (Secchi et Viganò, 2011).

 

Ces monuments deviennent des images définies et produites par les habitants. De plus, l’ensemble des ces images participent à la création de l’espace qui les entoure et qui se transforme. Il s’agit d’une manière sensible de lire le territoire de la ville avant d’y faire un projet d’urbanisme. Ces images sont aussi dans l’optique de rassembler les habitants à un projet commun des espaces publics ou du centre de la ville. «L’attention au territoire symbolique de ces monuments diffus participe à l’amélioration du cadre de vie métropolitain en permettant à ses habitants une réappropriation de leur territoire, en aidant à une reformulation de la structure topologique du Grand Paris» (Secchi et Viganò, 2011). Il s’agit d’identifier les monuments de la ville de différentes époques et de différentes cultures, pour les valoriser dans le projet de la ville. Les bâtiments qui ont cette valeur peuvent ainsi devenir des repères de l’espace urbain, et participer à la mémoire de la ville.

 

* Tous les titres et toutes les images sont tirés de : Secchi, B. et Viganò, P. (2011) La ville poreuse : un projet pour le Grand Paris et la métropole de l’après-Kyoto. Genève, Suisse : Métispresses.

2 _ Une ville poreuse donne de l’espace à l’eau et multiplie les échanges biotiques

3 _ Une ville poreuse où la biodiversité se diffuse par percolation et où les parcs ne se séparent pas

5 _ La ville poreuse est la ville des différents idiorythmes

 

La deuxième stratégie de la ville poreuse s’inscrit plus dans une optique écologique (landscape urbanism). La place de l’eau est très importante dans la ville. À Paris, par exemple, la Seine est l’un des éléments les plus importants de la ville (elle s’inscrit aussi dans les monuments par son caractère symbolique). L’eau a toujours été au centre des activités des habitants de Paris, par son caractère historique, mais aussi par l’appropriation contemporaine de ses berges. Ainsi, l’eau doit être considérée comme l’une des structures de la ville urbaine et contemporaine. Faire la ville poreuse signifie donc aussi de vivre avec l’eau, car malgré les risques d’inondations, l’eau est un merveilleux prétexte à la biodiversité et au transport (par exemple : la ville comme un grand port urbain). La ville ne doit donc plus tourner dos à ses rives et doit reconquérir celles qu’elle a perdues.

Pour cette troisième stratégie, Secchi et Viganò s’interrogent une fois de plus sur l’écologie de la ville. Cette fois-ci les intérogations concernent le rôle des espaces verts dans la ville. Les espaces verts correspondent bien à la définition de la ville poreuse, car les espaces poreux (vides) sont souvent ceux créés par les espaces verts. Dans la ville, ces espaces verts sont nombreux et variés : il peut s’agir des grands parcs urbains autant que des petits espaces verts privés. L’une des propositions de Secchi et Viganò est de créer un réseau pour les relier, afin de garder un fil continu dans la ville. Ce type d’initiative s’inscrit dans les villes contemporaines écologiques, en donnant l’occasion de créer, par exemple, des réseaux de pistes cyclables. «Si l’on conçoit en plus l’ensemble des espaces verts et agricoles comme un réseau, on peut utiliser les mêmes méthodes pour évoluer la contribution des espaces verts et agricoles à la perméabilité du tissu métropolitain» (Secchi et Viganò, 2011).

 

Ensuite, les espaces verts doivent participer à la perméabilité de la ville poreuse. Ainsi, le cadre du bâti ne doit pas encadrer les parcs, mais plutôt être conçu en «ante-parc», soit un «espace équipé qui non seulement laisse libre accès au marc, mais l’organise aussi» (Secchi et Viganò, 2011). Ainsi, les parcs peuvent participer à la socio-diversité de la ville.

4 _ La ville poreuse se transforme par stratification

La quatrième stratégie est que la ville poreuse doit aussi repenser la ville énergétique. Il s’agit de réfléchir comment des projets écologiques peuvent participer à l’amélioration de la vie urbaine. Par exemple, le principal programme proposé pour la ville de Paris était de restructurer tout le patrimoine bâti, mais Secchi et Viganò croient qu’il faut explorer au delà de cette solution. Pour eux, «le projet d’une ville poreuse est un projet qui adapte ses tissus au défi énergétique et, en même temps, aux évolutions des styles de vie et à la coprésence d’activités diverses» (Secchi et Viganò, 2011). Tout d’abord, il faut voir les opportunités et les possibilités «d’insertion dans des zones d’activités peu dense et obsolètes» et récupérer une certaine densité entre les bâtis pavillonnaires. Ainsi, la récupération des espaces de la ville permet d’adapter le tissu urbain, le style de vie des habitants et les activités aux contraintes écologiques. Pour cela, il faut analyser les bâtiments à hautes consommations énergétiques et les typologies qui permettent une rénovation. Les zones de logements de grands ensembles, souvent situées en banlieues, se prêtent notamment à ce type d’exploration.

Toujours dans cette pensée de la ville écologique, Secchi et Viganò réfléchissent aussi au développement du transport dans une métropole comme Paris. Ils misent sur les transports collectifs, plus favorables à l’environnement que les transports individuels. Il s’agit tout d’abord de voir le transport collectif avec un regard neuf afin de restructurer l’ensemble. Tout d’abord, le réseau de transports collectifs doit se densifier (la ville de Paris compte 0,04 km de métro pour 1000 habitants, en comparaison à Anvers pour 0,32km/1000 habitants). Cette densification doit aussi s’inscrire dans les banlieues. Ensuite, la restructuration doit être pensée selon un système de maillage, où les stations de transport favoriseraient une meilleure connectivité. De plus, ces stations doivent devenir des «espaces où chacun a son rôle, ses caractéristiques et son symbolisme propres» (Secchi et Viganò, 2011) afin d’organiser et structurer l’espace urbain. Ces espaces de mobilité peuvent ainsi devenir des nœuds dans la ville, comme un espace d’échange d’échelle locale ou globale avec une mixité d’usages et d’activités.

1 _ Une ville poreuse est dense de lieux significatifs *

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